Challenge AZ

I comme… Inventaire inachevé

J’adore lire les inventaires qu’on trouve dans les archives notariées. C’est un peu comme si on entrait dans la maison de nos ancêtres ; comme si on en parcourait les pièces une à une, à la suite du notaire, pour découvrir de quoi était fait leur quotidien.

J’aurais beaucoup aimé visiter de cette façon l’intérieur de mes ancêtres Jean GODEFROID « le viel » et Anne du RIEU, mes sosa 3644 et 3645, au XVIIe siècle.

Comme nous allons le voir, il s’en est fallu de peu…

Jean GODEFROID et son épouse Anne du Rieu sont les grands-parents de Marianne GODEFROID ép. CASTILLE dont j’ai parlé à la lettre C de ce challenge. Ils sont censiers-propriétaires – c’est-à-dire qu’ils exploitent leur propre cense, ou ferme – à Banterlez, sous la paroisse de Baisy, dans le Brabant wallon.

Si j’en crois le Grand dictionnaire biographique de Genappe de Gaston Braive, leur exploitation est assez importante et Jean GODEFROID est un personnage en vue dans la région, où il est aussi percepteur de la dîme et collecteur de tailles.

Cependant, au milieu des années 1660, il se retrouve manifestement criblé de dettes.

Le 27 septembre 1664, le notaire Nicolas GILBERT de Nivelles se présente à la cense de Banterlez accompagné de deux témoins pour y réaliser un inventaire des biens, sans doute en vue d’une saisie :

Je soussigné Nicolas Gilbert, notaire admis par le Conseil de Brabant, et les tesmoins cy bas denommez de la part et a l’instance du Sr Jan Davant, bourgeois a Nivelle, avons inventorié les meubles suivants appartenant a Jan Godefroid, resident a Banterlé
En la grange, un mil garbes de bled salvo justo
Item trois cent d’espeaulte et froment aussy salvo justo
Item deux reg[?]
Item une mesure de vasseau
Item dans une grangette par derier la maison, sept cent de vesses ou environ
Item 14 ou 15 cent d’avoine ou environ
Item sur la prairie joindante la maison, un cheval hongre rouge avec la teste blanche et quatre pieds blancs
Item sur le hourdeau*, dissept monts ou environ de poidz
Item deseur l’estable de chevaux, neuf ou dix chariotz de fourage
Item pardessoulz la charye un chariot entier
Item un aultre chariot avec deux roux
Item trois binnois
Item dans la basse-cour, neuf porcs de noircon et aultres
Attestons en oultre qu’avons trouvé la maison close, et que la femme dudit Jan Godefroid, a nostre arriv[ée] ferma les fenestres de ladite mai[son] et n’a pas voulu ouvrir la port[e] a nostre demande.
Davantage attestons qu’estans arr[ivés] en ladite grange, les enfans dudit Jan Godefroid ont demandé bien expressément au man-ouvrier y ba[ttant] les grains qu’il n’auroit a di[re] la quantité des grains y reposa[nt], et mesme l’ont envoyé hors [?] grange. Ainsi inventorié et atte[sté] ce 27e septembre 1664.

Le notaire n’a pas pu entrer !

En le voyant approcher, mon ancêtre Anne du RIEU s’est barricadée dans sa maison, et l’homme de loi s’est retrouvé face à une porte résolument close. Il n’a donc pu inventorier que la grange, la prairie attenante et la basse-cour.

Quel dommage ! Nous ne saurons pas ce qu’il y avait de l’autre côté de cette porte. Fermée pour le notaire ce jour-là, elle le restera pour nous à tout jamais.

Un exemple de cense dans le Hainaut (j’aurais aimé trouver une cense typique du Brabant wallon, mais pfff… Je cherche encore !); Illustration extraite de Jean-Marie Duvosquel, Album de Croy, 1987.

*Remarque : il y aurait beaucoup à dire sur les mots employés mais, comme vous sans doute, je cours après le temps durant ce Challenge AZ. Je pense que j’y reviendrai à une autre occasion. En tout cas, si par hasard vous savez ce qu’est un « hourdeau » (ou « bourdeau » ?), faites-moi signe ! Je n’ai pas encore trouvé ce que c’était.

Image d’en-tête : Pixabay

6 réflexions au sujet de “I comme… Inventaire inachevé”

    1. C’est une anecdote assez connue des généalogistes de la région, mais c’était drôle de tomber sur l’acte lui-même en parcourant les registres. Elle ne devait pas être commode, cette ancêtre !

      J’aime

  1. C’est une belle anecdote, qui effectivement prive de la description du lieu mais donne par contre une description d’une ancêtre, ce qui est plutôt rare.

    Pour hourdeau, je ne sais s’il y a un lieu, mais le verbe hourder dans le temps était lié au faut de monter, maçonner un mur grossièrement.

    Aimé par 1 personne

    1. Oooh… Je pense que j’ai trouvé à partir du mot « hourd » dont dérive ce verbe « hourder ». Ce serait un « faux plancher au-dessus de l’aire d’une grange (…) de l’ancien haut-allemand « hurd » désignant tout ouvrage fait par entrelacement de branches, assemblage de poutres, etc. » Prononcié « ordia » ou « ourdia » dans la région.
      Merci beaucoup pour cette piste ! Je pense que j’y reviendrai dans un autre article 🙂

      J’aime

  2. euh, je connais le mot « bourdeau », mais ce n’est certainement pas ça ici, heureusement! lol
    Drôle d’anecdote, sinon; pas commode, l’ancêtre! 😉

    (bourdeau \Prononciation ?\ masculin
    Variante de bordel.
    L’auberge de La Belle Colombelle que Josse lui avait indiquée comme servant de point de ralliement aux fugitifs était une masure au pied de la dune, avec un colombier dans lequel on avait fiché un balai en guise d’enseigne, ce qui signifiait que cette pauvre hôtellerie était aussi un rustique bourdeau. — (Marguerite Yourcenar, L’Œuvre au noir, 1968)
    Références ; Frédéric Godefroy, Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle, édition de F. Vieweg, Paris, 1881–1902 → consulter cet ouvrage (bordel)

    J’aime

    1. Hhh! Non, effectivement, ce n’était pas ‘bourdeau’, mais bien ‘hourdeau’. J’ai trouvé qu’il existait un mot patois se prononçant ‘ourdia’ dans cette région et signifiant « faux-plancher au dessus de la grange ». Je pense que ‘hourdeau’ est une francisation de ce mot par le notaire.

      J’aime

Pour laisser une trace, c'est par ici...